Ici et ailleurs

Mercredi 13 février

Nous nous réveillons une fois de plus dans la bruine. Nous sommes gelés, pas d'électricité,
donc pas de chauffage et d'eau chaude. Nous avons grelotté toute la nuit dans notre lit ! Petit déjeuner spartiate, impossible d'avoir une boisson chaude !

En attendant de reprendre la voiture pour aller voir notre premier festival nous arpentons les
rues de Zhaoxing. Boueuses, les rues, terriblement boueuses !

 Et visiblement les habitants sont aussi transis que nous. Chacun essaie de se réchauffer avec les moyens du bord : la plupart du temps il s'agit d'une bassine remplie de braises autour de laquelle on se regroupe. Les petits réchauds à bois fonctionnent à plein régime sur les trottoirs.

Zhaoxing est une grosse bourgade dong et, à se titre, possède une « tour du tambour » ainsi qu'un « pont du vent et de la pluie » (qui n'a jamais si bien porté son nom).

En général ce dernier indique l'entrée du village tandis que la tour du tambour est le lieu de rassemblement lorsqu'il y a un événement quelconque. Aujourd'hui brûle en dessous un grand feu autour duquel se regroupent les habitants (surtout les hommes). Les maisons en bois du village s'alignent le long de deux axes principaux : la rue et le rivière. Ce sont aussi les lieux de vie. Le long de la rue s'opèrent toutes les activités « économiques » : boutiques, petits restaurants plus que sommaires, marché...Les rives de la rivière sont réservées à des activités plus familiales : toilette, lavage des vêtements, des légumes, des poulets ou canards fraîchement tués, teinture des bandes de tissu en indigo. Ces bandes serviront à fabriquer les jupes plissées des femmes : il faut compter quatre mètres de tissu pour une seule jupe tant le plissage est fin. Une galerie en bois couverte longe les deux rives.

Le jeu des toits est toujours aussi beau, même sous la pluie.

Sur le marché nous retrouvons, un peu feutrée par le temps, l'atmosphère des marchés asiatiques : un joyeux mélange de légumes, de viande étalée, de chiens qui en profitent, de poissons , de poulets dans des cages d'osier ou de canards dans des sacs.

Une soupe de nouilles pour repas dans la première gargote venue et nous voilà partis pour
notre premier festival.

La route monte sous la pluie dans la montagne et nous conduit dans un petit village où commencent à arriver les autochtones. La foule se presse sous la tour du tambour en attendant l'ouverture des festivités. Les premiers danseurs, garçons et filles, commencent à arriver dans leur plus beau costume.

 Même si tous les jours chacun, du moins les femmes, porte encore l'habit traditionnel dans les villages et même dans des villes plus importantes, le jour du festival on sort l'habit du dimanche ! Cet habit est confectionné entièrement à la maison et les bijoux, en argent pur, sont fabriqués sur commande à l'artisan du village. Jupe plissée noire, tunique mordorée aux manches brodées et bandes de différentes couleurs sur les jambes pour les femmes. Les bijoux, gros colliers ou énormes pendentifs, bracelets brillent sur les vêtements. Mais le plus beau est la coiffure : les cheveux sont enroulés en un chignon serré au sommet de la tête et traversé d'aiguille d'argent pour certaines ou coiffé d'une couronne ciselée pour d'autres. Le tout agrémenté de fleurs. C'est superbe.

Les garçons ont une tenue plus modeste : tunique et pantalons marrons et chapeau orné de
bandes de couleur.

Au centre de la place sont assis les notables les plus âgés du village. Ils président la
cérémonie car il s'agit d'une cérémonie de célébration du  nouvel an chinois. Nous entrons dans l'année du serpent.

Les joueurs de lusheng ouvrent les festivités. Le lusheng est un instrument à vent en bambou qui tient à la fois de l'orgue par les tuyaux dont il est muni, de la flûte de pan par sa matière, et de la trompette par l 'action exercée. Le joueur souffle dedans et crée les notes en bouchant des trous sur les tuyaux. Cela produit un son étrange et on a l'impression d'entendre des centaines de cloches qui s'ébranlent.

Surtout le joueur de lusheng rythme sa musique en dansant légèrement.
C'est comme si sa danse créait la musique autant que son souffle.
C'est un peu envoûtant à regarder. Derrière, les filles et les garçons vont tourner autour de la place, sur deux rangs et leurs chants vont se répondre à tour de rôle pendant un long moment.

Les spectateurs sont nombreux, aussi bien sur les tribunes qu'aux fenêtres !

Des pétards éclatent, des hommes nus, peinturlurés et masqués se précipitent au milieu des
danseurs. Ils symbolisent les mauvais génies mais arrivent le serpent et le dragon, suivis des bons génies du foyer qui les chassent et entament à leur tour un lent périple autour de la place
au son des percussions. Il pleut mais nous sommes fascinés. Tout d'un coup apparaissent des enfants portés dans des hamacs en bambou.

Chacun représente un vœu pour la nouvelle année (que la pluie soit bonne, aujourd'hui pas de problème, que les récoltes soient abondantes, que l'argent coule à flot, qu'il n'y ait pas de
maladie...). Auprès de chaque enfant les jeunes filles chantent et l'implorent de réaliser le vœu.

Après leur départ petit à petit la foule se disperse.

Nous regagnons notre guesthouse toujours aussi glaciale. Pas d'électricité. Impossible de tenir dans la chambre. Reste le lit à peine tiède. Dans la nuit nous sommes réveillés par des trompettes lancinantes. Elles repassent au petit matin. A notre réveil nous observons des hommes et des femmes coiffés d'un grand turban blanc qui se dirigent vers la tour du tambour...un homme est mort hier soir et la cérémonie funèbre commence. En rejoignant la voiture nous jetons un coup d'œil discret. Une chèvre attend attachée à un pilier...nous ne donnons pas cher de son avenir ! Une camionnette remplie de carcasses de poulets attend aussi pour le banquet funéraire. Nous ne restons pas.
Il est plus facile de photographier la vie que la mort...